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le projet

un projet pour le Maillon
© Charly Broyez

un projet pour le Maillon

Le Maillon, Théâtre de Strasbourg – Scène européenne, est un théâtre public qui fonde son originalité, sa réputation et son rayonnement européen sur une programmation pluridisciplinaire, internationale et résolument contemporaine. Porté par des collectivités publiques, il a évolué sous la direction de Barbara Engelhardt vers un projet éditorialisé, et est devenu un lieu d’accompagnement de la création artistique, soucieux de tisser et de nourrir des liens avec un public de tous les horizons et de toutes les origines culturelles.

La création n’opère pas en huis clos, elle germe au sein d’une communauté en mutation, prend place dans un espace partagé, fait de réalités sociales très diverses. Mais à tout moment, chaque communauté doit se questionner et penser les outils de son propre fonctionnement : la tendance au communautarisme, le compromis autour d’un dénominateur commun trop réducteur ou la tentation de fonder des affinités sur des ressemblances la guettent sans cesse. Quelles sont les expériences, les pratiques, quels sont les souvenirs qui animent le collectif sans l’enfermer sur lui-même ? Que faut-il inventer pour que nos sociétés deviennent plus perméables les unes aux autres, gagnent en hybridité, en pluralité ? Quelles histoires communes s’écrivent et se perpétuent ?

Ces questions animent le projet de Barbara Engelhardt, directrice du Maillon, Théâtre de Strasbourg – Scène européenne depuis la saison 2017/18. Parce que la culture n’est pas seulement un secteur, mais tout d’abord un vecteur – d’idées et d’expériences –, les saisons artistiques exploitent désormais le sens tant de la diversité que de l’hospitalité sous toutes leurs formes.

Aujourd’hui, le Maillon invite à des expériences esthétiques et des échanges qui rendent compte de l’indéniable complexité du monde que nous habitons. Comment cultiver la curiosité du public tout en misant sur l’exigence artistique et une inventivité radicale ? Comment soutenir et impulser la création contemporaine en interrogeant son rapport au réel et sa capacité à nous projeter dans de nouveaux récits ?

C’est dans cette recherche que nous mobilisons les forces artistiques et institutionnelles pour bousculer des certitudes, aiguiser nos sens, affiner notre perception, redéfinir de ce qui pourrait être le commun. Pour ce faire, le Maillon ne déploie pas seulement les moyens propres au spectacle vivant, mais continuera à ouvrir le théâtre à d’autres formes de rencontres. Surprendre, accueillir, accompagner, penser, déplacer, relier… : tels pourraient être les mots-clés de ce projet, celui d’un théâtre qui interroge sans cesse son rapport à la cité. Tels sont aussi les fondements de sa marque de fabrique, désormais reconnue internationalement.

scène européenne

Le Maillon témoigne d’une ouverture au monde qui se décline à deux échelles : internationale et transfrontalière. Dans une Europe qui doit résister aux tendances populistes et nationalistes et faire face aux crises politiques, la démocratie et le pluralisme ne sont pas des acquis, mais de véritables enjeux. Nous sommes toutes et tous amené·es à interroger les fractures qui traversent le territoire européen. Au Maillon, nous le faisons avec les moyens du spectacle vivant : le théâtre constitue un espace partagé fait de vécus, de pratiques culturelles et de dialogues, où se dessine un projet d’Europe désirable. Observer et rendre tangibles tant les différences que le commun dans une société plurielle, telle est une des expériences profondes du présent que nous explorons avec les moyens des arts vivants. Autant partenaire que plateforme pour la création européenne, au profit des publics et des artistes que nous promouvons à l’étranger, le Maillon fait se croiser les échelles : c’est dans la rencontre entre le théâtre international et les artistes du territoire, entre les spectateur·rices français·es et d’outre-Rhin que peuvent naître des perspectives véritablement européennes.

Le Maillon est connu pour être un lieu de découverte et de relais de la création européenne, qu’elle soit émergente ou confirmée. L’objectif ne se résume pas à présenter le travail d’artistes venu·es d’ailleurs au public strasbourgeois, mais de déplacer le regard et de permettre la découverte de propositions aussi diverses que les réalités politiques, sociales ou culturelles qu’elles reflètent. Au travers d’initiatives originales menées avec des artistes, partenaires et réseaux européens, la scène européenne qu’est le Maillon réinvente aujourd’hui le lien entre le local et le global.

le Maillon, pôle européen de création

Pour son projet, Le Maillon a reçu en automne 2020 le titre « pôle européen de création », signe de reconnaissance par le Ministère de la Culture d’une démarche artistique ouverte sur le monde. Avec 10 autres structures françaises œuvrant dans différentes disciplines artistiques, le Maillon constitue le réseau des Pôles européens de Production/Création, « développant une politique internationale remarquable ». Ce titre nous permet de renforcer et d’articuler nos activités de recherche, de production et de diffusion, de mise en réseau et de création. Il nous encourage à accompagner les artistes et à mettre à disposition, à l’échelle européenne, tant notre expertise que notre envie de partage.

Moving Borders et ARK

ARK Strasbourg

Le réseau européen Moving Borders, cofinancé par le programme Europe Créative (2019 – 2021), est né de la rencontre de sept théâtres, structures publiques et festivals européens dans le domaine des arts performatifs : Hellerau – Europäisches Zentrum der Künste Dresde (DE), Maillon, Théâtre de Strasbourg – Scène européenne (FR), Ringlokschuppen Ruhr (DE), SPRING Performing Arts Festival (NL), Teatro Municipal Do Porto (P), Fondation Onassis STEGI (GR) et Fundacja Instytut Sztuk Performatywnych (PL). (www.movingborders.org)

Ce réseau s’est constitué dans le contexte d’une Europe confrontée à un renouveau des mouvements nationalistes et à un accroissement des déséquilibres économiques. Dans chaque ville, les partenaires ont interrogé les frontières que l’on rencontre quotidiennement : celles qui séparent et empêchent les individus d’aller les uns vers les autres, et qui entretiennent les inégalités et les clivages. Mais aussi les frontières et les distinctions que rend nécessaire le respect mutuel dans des communautés humaines caractérisées par la diversité.
Dans le cadre du projet Europe Créative, le réseau a fait appel au collectif Quarantine, qui a proposé un concept global pouvant être décliné, avec des « agents locaux », sous des formes adaptées aux différentes villes et structures. Partant des questions et des thématiques communes identifiées par le réseau Moving Borders, ce collectif britannique a accompagné dans chaque ville des artistes et des citoyens pour créer une version in situ d’un projet nommé ARK, adaptée en fonction des spécificités démographiques, culturelles et sociologiques locales. Le projet consistait en la construction, sous une forme à la fois concrète ou et métaphorique, d’une arche permettant d’accueillir en son sein des manifestations publiques et des rencontres entre citoyen·ne·s.

Au Maillon, ARK – Strasbourg a posé la question du dialogue et de l’équité dans une communauté culturellement et socialement diversifiée. « Capitale européenne », Strasbourg est une ville internationale, transfrontalière et « terre d’accueil ». Mais que signifie concrètement le fait d’être un·e « étranger·ère » à Strasbourg, de faire ici l’expérience de l’internationalité, pour des raisons parfois radicalement différentes, des migrant·e·s aux fonctionnaires européen·ne·s ? Quel lieu de rencontre, quelles formes d’échanges nous permettront de faire croiser des trajectoires et des origines culturelles diverses ?

Collaboratif et participatif, il s’agissait d’un processus au long cours, une série de rencontres et d’ateliers menée par des artistes durant plusieurs mois, en lien avec des acteur·rices de la société civile, des étudiant·es, des nouvelles aux arrivant·es dans la ville, des citoyen·nes.

Dans un véritable processus d’expérimentation et co-construction mené par l’équipe du Maillon, toujours en lien avec d’autres artistes du réseau Moving Borders, ARK Strasbourg s’est construit avec les « agents locaux » Antoine Cegarra, Leyla-Claire Rabih, Élise Simonet, auxquels se sont joints Mathilde Metz et une douzaine d’étudiant·es (scénographes et illustrateur·trices) de la HEAR.

Ouvert au public durant un temps festivalier en juillet 2021, le Maillon s‘est transformé en un lieu de vie à la croisée de l’atelier de construction, de l’espace de jeu, du cercle de pensée, de l’agora. Le public était invité à échanger autour de l’expérience du plurilinguisme, à chanter dans un chœur explorant les sonorités de différentes langues, à se promener avec des guides d’origines culturelles diverses qui, le temps d’un itinéraire aux abords du théâtre, livraient le récit de leur propre façon d’appréhender la ville, ou à partager des savoirs insoupçonnés avec d’autres habitant·es de Strasbourg : une véritable Fabrique d’expériences, co-construite avec des artistes, l’équipe du théâtre, des participant·e·s amateur·rices et des étudiant·es qui a contribué à donner forme aux questionnements et aux désirs des habitant·es participant.

 

un théâtre transfrontalier

Le Maillon est implanté dans un espace transfrontalier riche d’une histoire culturelle et linguistique qui lui est propre. De cet ancrage, qui nous prédestine à interroger les identités culturelles des deux côtés du Rhin, se nourrit un travail de maillage transnational particulier. Outre une communication bilingue et des dispositifs tels le surtitrage, qui permettent au public germanophone d’accéder à une grande partie de la programmation du Maillon, une coopération régulière avec des établissements scolaires ou acteurs culturels ainsi que des navettes favorisant la mobilité transfrontalière créent des liens entre la France et l’Allemagne.

Par-delà cet ancrage local important, il s’agit également de mettre en œuvre de nouvelles coopérations bi- ou transnationales. Point de rencontre entre des systèmes théâtraux différents, le Maillon, en tant qu’acteur d’envergure dans la région, se positionne comme un interlocuteur évident pour des partenaires artistiques et institutionnels plus ou moins proches géographiquement, en Allemagne et en Suisse, tout en impliquant d’autres structures ou partenaires français. Le réseau informel dans lequel s’est inscrite la direction – notamment à travers des projets avec des théâtres à Bâle, Dresde et plusieurs festivals – peut ainsi servir la promotion d’artistes français·e·s dans les pays germanophones voisins.

l’architecture de la programmation

L’éditorialisation des saisons donne au projet, pluridisciplinaire jusque dans sa Fabrique d’expériences, une architecture particulière et tangible de programmation et invite à « pratiquer » le Maillon autrement. Celle-ci prend concrètement la forme d’ancrages thématiques ainsi que de grandes lignes directrices à travers les saisons, afin de créer des résonances entre spectacles, artistes et activités culturelles développées. Les axes structurants reflètent des interrogations collectives, qui nous permettent de faire se croiser des milieux socio-professionnels et des horizons culturels parfois éloignés les uns des autres, tant sur la scène que dans la salle. L’objectif est de prolonger la réflexion par-delà l’expérience artistique, d’inviter les champs scientifiques et associatifs à s’associer et à partager savoirs et expériences. Car les arts ont définitivement leur rôle à jouer dans ce « plus grand divertissement » qu’est l’acte de penser (Bertolt Brecht). Les entrées thématiques – sous forme de « Temps forts » et de « Focus » – ou, dans le cadre du format « Paysage », la découverte approfondie d’un·e artiste ou d’une compagnie complice, permettent de ponctuer la saison. Elles témoignent d’un théâtre conscient des grands enjeux sociétaux à débattre, qui mettent plus largement le secteur culturel face à ses responsabilités.

Téléchargez le programme du Temps fort « Tu fais quoi dans la vie ? »

habiter le théâtre

© Oryane Langenbronn
© Oryane Langenbronn

Le Maillon déploie, en lien étroit avec les artistes programmé·es, de nombreuses façons d’aller à la rencontre des publics et de les faire se croiser. Partant du principe que les lieux de culture doivent être ceux où s’explore le commun et s’expérimente le vivant, l’objectif est de se réapproprier un espace partagé, de le rendre sensible et intelligible. Ainsi, le Maillon multiplie les opportunités de faire communauté afin de rendre tangible un « en-commun » qui alimente la curiosité vis-à-vis de l’Autre.

C’est dans le cadre de la Fabrique d’expériences que nous développons depuis 2018 un très large spectre de rendez-vous entre le public, les artistes et les équipes du Maillon. Des projets participatifs, des débats et des échanges, des conférences, des rencontres conviviales, des ateliers de découverte et des masterclasses constituent un champ d’expérimentation tout au long de l’année, par-delà l’assemblée des spectateur·rices en salle. La particularité de cette démarche consiste à augmenter une expérience individuelle par un moment de partage, aussi bien sur le plan des idées que sur celui de l’expérience du plateau. De tels moments sont conçus pour un public composé d’individus de tout âge et de toute origine qui fait, en se prêtant aux activités de la Fabrique, l’expérience d’une communauté plurielle.

Que le spectacle vivant n’existe pas sans public, est certes une vérité banale, mais elle mérite d’être confirmée et pratiquée par les spectateur·rices eux/elles-mêmes. De manière récurrente, nous proposons au public de s’immerger dans de nouvelles formes artistiques qui les invitent à être partie prenante de la création. La scène et la salle, les récits mis en scène, le temps de parole et les règles du jeu, tout peut dès lors devenir objet d’un partage au théâtre.
Les œuvres collaboratives, participatives ou immersives forment des espaces qui oscillent souvent entre performances et installations. Mais avant tout, elles suscitent des dynamiques et des situations fondées sur la présence des spectateur·rices qu’elles placent au centre de la représentation, tout en leur laissant le choix de participer, de regarder ou d’évaluer leur propre position. Ce qui nous intéresse dans de tels dispositifs est la diversité passionnante des approches artistiques internationales, et les possibles qui émergent dès que le public prend conscience de sa marge de manœuvre, puissante et créative.

le Maillon s’engage

… pour la création et l’émergence

Le Maillon coproduit un certain nombre des spectacles accueillis dans ses murs et contribue activement à la circulation des artistes et des œuvres par le biais de ses réseaux européens. Malgré l’absence d’une salle de répétition, il fait la part belle à l’accueil de compagnies en création et en résidences de recherche.

Le soutien à l’émergence, un autre enjeu du projet, demande un travail d’accompagnement adapté. Le Maillon s‘inscrit ainsi dans une certaine temporalité, celle de l’engagement pour un·e artiste dès la gestation d’un parcours ou d’un projet. La présence d’artistes, jeunes ou confirmé·es, français·es ou européen·nes, lors de résidences ou de laboratoires de recherche revêt une pertinence particulière dans le travail avec le territoire. Les créations in situ, notamment, nous permettent d’inventer de nouveaux liens entre artistes, équipes et publics.

… pour la transition écologique du secteur du spectacle vivant

La prise de conscience écologique dessine aujourd’hui de nouveaux paysages, non seulement environnementaux mais aussi institutionnels, politiques, économiques, sociaux, culturels. Ce défi exige de trouver de nouvelles perspectives pour savoir « où atterrir », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Bruno Latour.

La culture, qui joue par ailleurs un rôle essentiel dans l’invention de narratifs pour penser l’avenir, interroge son propre fonctionnement à l’heure de la transition énergétique, de la consommation en énergie de ses lieux à la diffusion de la production artistique, en passant par de nouveaux modes de collaboration à inventer.

Comment penser les bâtiments culturels de demain ? Comment envisager la création sous l’angle de l’éco-conception et l’éco-production, sans pour autant brider la liberté des artistes ? Comment organiser la diffusion de manière raisonnée ? Repenser la mobilité des publics ? Réduire l’impact du numérique culturel sur l’environnement ?

Ce sont des questions qui impactent aujourd’hui aussi bien le travail artistique que le fonctionnement d’un établissement culturel tel que le Maillon.

En automne 2022, le Maillon a organisé le forum Where to land – embedding European performing arts in the new Climate Regime. Dans ce cadre, nous avons rassemblé plus de 130 personnes autour de ces questions, des expert·es en transition écologique, des acteur·rices politiques et des professionnel·les du spectacle vivant venu·es de toute l’Europe. Au cours de sessions plénières et d’ateliers thématiques participatifs, ils et elles ont discuté les outils d’une production culturelle responsable, dégagé des axes d’une nécessaire réorganisation du secteur culturel et élaboré des recommandations en matière de politiques publiques pour soutenir les acteur·rices, à la hauteur des défis environnementaux actuels. Ce qui nous importait était de dépasser le constat – assez consensuel – que la planète va mal, afin d’identifier un plan d’action. Seule une réflexion systémique, qui englobe les pratiques et les moyens, l’artistique et le politique nous permet d’activer des leviers et de fédérer, à l’échelle européenne, autour de transformations profondes dans le domaine des arts.

Les réflexions et recommandations – impulsées entre autres par Marie Le Sourd, On the Move (FR), Samuel Valensi, The Shift Project (FR), Caro Overy, Creative Carbon Scotland (SCO), Thierry Leonardi, consultant (FR), Christophe Meierhans, artiste (CH/B), Robert Gabriel, Metamine (DE), Nadia Mirabella, Chiara Badiali, Julie’s Bicycle, Mladen Domazet, Institut de l’écologie politique de Zagreb (CRO) – ont été publiées pour être partagées le plus largement possible avec le secteur du spectacle vivant.

Téléchargez la restitution de « Where to land »

oct

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